L'autre de Sylvie Le Bihan (2015)

Publié le par Marion L.

L'autre de Sylvie Le Bihan (2015)

La première case du calendrier s'ouvre… sur un sujet difficile mais d'actualité : la violence conjugale.

     11/09/2011. Emma est invitée à assister aux commémorations des attentats survenus 10 ans plus tôt, en tant que veuve. Sauf qu'Emma ne porte pas le deuil comme les autres, elle s'accuse même de l'avoir tué, l'Autre, celui qui l'a persécutée pendant des années.

Un homme rencontré en 1996 alors qu'elle faisait un stage en Angleterre, loin de toutes ses attaches, ce qui lui a été fatal.

     Emma était une jeune femme indépendante et croqueuse d'hommes. Elle jouait de ses charmes pour le temps d'une nuit, d'un instant, avant de lâcher l'homme, sans remords, avec une petite pointe de supériorité. Elle aimait les séduire puis les jeter.

     Tout change après sa rencontre avec l'Autre - avec un grand A, car cet autre peut être n'importe qui. Ne pas lui donner de prénom c'est ne pas l'humaniser, ne pas lui donner de corps physique propre car il se cache, on ne peut le cerner et le deviner. Cela lui donne un aspect tout aussi horrifiant qu'un monstre qui rôde, qu'on ne peut voir venir car on ne connaît pas son identité, c'est l'autre. Mais les autres c'est vaste, ce sont tous ceux qui ne sont pas nous, une agression extérieure et imprévisible.

     Une manière sans doute de se détacher de lui. Ce n'est pas son mari, c'est l'Autre, même pas un double, une partie de soi, non, c'est l'Autre, le danger qui plane.

Dans ce livre, Sylvie Le Bihan raconte l'histoire d'une jeune femme qui tombe dans les griffes d'un pervers narcissique. Et qui subit, tous les jours, une maltraitance non pas par des coups mais par la parole ; une torture psychologique.

     Elle démontre surtout à quel point cela se fait progressivement, au point de ne rien voir venir, de ne pas remarquer le changement et encore moins le piège qui se referme. Il l'écoute, la cerne, découvre ses faiblesses et les exploite contre elle.

     A terme, elle est persuadée qu'il a raison, qu'elle n'est rien, une pute qui mérite de subir des humiliations sexuelles, qui - soumise à son autorité - ne part pas car, au fond, elle pense qu'elle a trop besoin de lui, comme il le lui dit. Honteuse d'être une victime elle le cache et n'en parle pas.

     Elle ne se rend pas compte qu'elle lui donne le bâton pour mieux la taper et lui cherche des excuses. Il l'isole pour mieux la contraindre. Et il y a l'entourage, aveugle ou qui voit mais qui ne dit rien, qui minimise, la laisse seule sans l'aider. Sans secours, elle s'en remet à son bourreau et l'enfer continue.

En parallèle nous suivons les affres de Maria qui, elle aussi, ne vient pas pleurer ; l'attentat a tué son mari, un homme violent qui la battait.

     Deux cauchemars, deux femmes sauvées qui, 10 ans plus tard, n'oublient pas, meurtries par plusieurs années de souffrance à supporter seules devant le silence et l'inaction des autres qui ferment les yeux.

     Les passages de Maria sont racontés d'une manière classique, à la troisième personne. Pas ceux d'Emma. C'est plutôt un narrateur qui ne s'adresse ni à nous, ni à Lui, qui utilise le "je" et s'adresse à Emma sous le "tu". Nous devinons qu'il s'agit de la voix intérieure d'Emma. Elle raconte, sans s'adresser à nous sous la pure forme du "je". Elle est plutôt une voix qui met Emma face à ses erreurs avec ce "tu", qui la juge, qui ne mâche pas ses mots mais qui lui montre avec sarcasme et mépris à quel point elle est - je cite - "conne", "sans valeur". Une voix qui reprend ce que lui a dicté l'Autre comme s'il était encore là.

     Et c'est le pire : la manière dont elle se parle, dont elle se voie, pas avec compassion en tant que victime mais avec mépris car, justement, elle est une victime qui s'est laissée faire, comme si tout était de sa faute.

     Alors Maria est là, non pas comme un destin parallèle pour constater les conséquences de ces deux formes de violence, mais comme une bouée de sauvetage car elle est la preuve que ça peut arriver à d'autres. 

Un livre qui traite avec brio d'un sujet difficile, vécu par de nombreuses personnes, femmes ou hommes. Avec cette manière percutante d'utiliser le "tu" : la victime devient à la fois son juge et son bourreau. Un livre percutant.

Marion (Source image : librairie Durance)

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