Compte-rendu de l'émission de jeudi 29 novembre 2012

Publié le par Marion L.

     Vous n'avez pas le temps de regarder La grande librairie, émission littéraire qui passe tous les jeudis soirs sur France 5? Ou vous désirez la connaître? Et bien, en voici l'opportunité. Toutes les semaines, pour vous, je la visionne et vous en fait un compte-rendu que j'espère complet. Bonne lecture et bon visionnage.

    Quatre auteurs sont invités sur le plateau. Cette semaine : Annick Cojean, Lionel Duroy, Antoine Choplin et Jean-Claude Guillebaud.

     L'émission est organisée de cette façon : phrase d'introduction, portrait de l'auteur, et discussion autour de son livre. Je vais respecter cette démarche.

Annick Cojean : Les proies, chez Grasset : Ce livre est basé sur les victimes sexuelles d'un dictateur : le colonel Kadhafi. Il ne s'agit pas d'un roman, rien n'a été inventé. Il est possible d'en discerner deux parties :

  • Le récit de Soraya, une victime qui a accepté de témoigner;
  • Une enquête : les conséquences de cette vie, si le témoignage est exact...

Portrait de l'auteur : les lecteurs du journal le Monde la connaissent bien, depuis 30 ans elle y écrit.  Lors du 50ème anniversaire des camps de concentration, elle donne le témoignage des gens de la Shoah. Elle a une certaine empathie et arrive à faire parler les personnages, et ses livres passent par eux. 97 : retour sur image, série adaptée en livre. Elle bouscule les codes de l’écriture journalistique française en écrivant à la 1ère personne.

L'oeuvre : Elle rencontre en Libye une esclave sexuelle. Elle y va tout d'abord pour découvrir le rôle des femmes lors de cette révolution. Elle avait vu les tunisiennes et les égyptiennes être ardentes et prendre des risques lors de la révolution arabe. Ceci l'amène à s'intéresser aux femmes et à leur rôle. Mais du côté des libyennes, rien. Que font-elles ? Elles ont pourtant une place fondamentale dans cette révolution, pas toujours au front, derrière, mais font du renseignement, nourrissent, volent des médicaments, vendent pour financer des armes. Une expression  revient souvent lors de son investigation : les femmes avaient un compte à régler avec lui. Avec le colonel Kadhafi. Et elle apprend que le viol a été une arme de guerre.

     Elle cherche des victimes et trouve par hasard Soraya. Prise à l’école, à tout juste 15 ans, elle est choisie pour offrir un bouquet de fleur au grand leader, elle est flattée. Il la choisit, elle lui plaît. Peu de temps après on la kidnappe. Elle intègre alors le harem du dictateur. Il les emmène partout avec lui, elles sont déguisées en homme, en uniforme, ce sont les fameuses « amazones ».

      Les Français étaient-ils au courant de tout ceci ? Un ministre, un ambassadeur ? Ils ne savaient pas l’ampleur de tout cela. On connaissait le trafic, les grandes lignes, mais pas les détails. Ce sont des femmes qui gèrent les femmes du harem. Un nom ressort alors : Mabrouka.

      Est-ce vrai ce qu’elle raconte ? L’auteur a ressenti que c’est vrai, car elle se rend compte du désastre de sa vie, elle est en colère. Elle est libre, mais pas sûre ! On peut l’accuser d’être proche de lui. Elle avait envie qu’il comparaisse devant un tribunal. C’est un tumulte dans sa tête, c’est pourquoi elle parle. C’est comme un suicide social, elle a peur pour sa vie.

      Elle pouvait fuir, mais ce n’est pas une option et elle revient d’elle-même. Se cacher où ? Le dire à qui ? Personne n’a confiance en personne. Aucun recourt possible. Peut-elle se reconstruire ? Elle n’arrive pas à se projeter dans l’avenir. Et c'est de là que vient le problème.

Lionel Duroy : l’hiver des hommes, chez Julliard : plébiscité par les lycéens : prix renaudot des lycéens. Histoire d’un écrivain français en Serbie qui veut comprendre le suicide de la fille d’un dictateur. Cela soulève une question pour les enfants de dictateurs ou de personnages violents : comment vivre en sachant ce qui se passe? 

Portrait de l'auteur : Lionel Duroy s’inspire de sa vie pour écrire ses livres. Priez pour nous est un succès mais ses frères et sœurs ne lui pardonnent pas. Il évoque ses guerres intimes, ses capitulations amoureuses. Ils ne tolèrent pas que leur histoire intime soit montrée à tous. Journaliste, il tire un livre de la guerre en Bosnie, qu’il a couvert. En 2010 avec : le chagrin, et colère en 2011 il s’interroge sur la filiation, et décrit l’impact de l’écriture sur son entourage.

L'oeuvre : Marc, le personnage principal, va en Serbie, à Belgrade. Voyage dans un pays où l'on pense que les musulmans sont une menace. Qu’est-ce qui l’a pousé à partir là-bas ? Comment s’inventer une vie avec le poids de l’héritage sur le dos? Le suicide de la fille du générale Mladic le bouleverse. Il rentrait au pays quand il l'apprend et voulait y retourner. Se joue une thématique : comment survit-on à ses parents ?

     Elle était jeune, 23 ans, et étudiante en médecine. Ceci se passe après le massacre du marché de Sajarevo. Elle décide de mettre fin à ses jours, et avec l’arme préférée de son père. Elle ne lui donnera pas de descendants, c’est un message qu'elle lui laisse.

      On préfère parler de meurtre plutôt que de suicide. C’était inimaginable que sa fille se suicide, on ne peut entendre ça.

      L'auteur est capital sur un point, il ne veut pas porter de jugement. Pas de jugement moral dans le livre. Il estime que d’autres auraient pu agir ainsi et se lancer dans cette guerre.

     Il utilise une image forte: quand il marche dans la guerre il a l'impression d'ouvrir le cerveau d’un homme; il voit ses angoisses, tout ce qui lui traverse la tête dans la journée. La guerre c’est l’expression de tout, tout est perdu, c’est un crâne à ciel ouvert, on voit de quoi on est capable.

Antoine Choplin : Nuit tombée, chez la fosse aux ours : Un homme sort d’une centrale nucléaire et se dirige vers la lumière. Un livre contre la société des railleurs.

Portrait : il interroge les lueurs d’humanité, les arts, un des piliers essentiels. 2003 : radeau, son 2ème roman, raconte l'histoire de Louis, conservateur au Louvre qui tente de sauver les œuvres d'art des allemands lors de la guerre. De la guerre des hommes il restera quelque chose, on conserve l’humain et le créateur. Dans Court nord en 2010 : la musique sauve. Dans Le héron de Garnica : il s'agit de la peinture. Reste des images très fortes, grâce à son amour de la poésie et de la musique. Il va à l’os, côté imagé, il prolonge l’imaginaire.

L'oeuvre : Tchernobyl : des hommes sont déplacés. Quelques années après, les hommes veulent rentrer chez eux. Il écrit court, pour lui c'est une incapacité à mieux voir ce qu’il tente d’entreprendre avec ses personnages. Il veut que tout cela soit juste. Il pense que ceci donne lieu à une écriture de la capitulation, de ne pas savoir dire sous peine d’affadir le tout.

      Le nom de tchernobyl n’est pas cité. C’est un livre sur le retour, pas sur Tchernobyl : il voulait se libérer de cette sorte de paradigme qui pèse sur lui, sur cette région du monde; c’est reprendre le fil d’une écriture littéraire et romanesque à hauteur d’homme. C’est repartir par le petit et faire confiance à une sorte de complicité et de compagnonage entre les personnages et lui-même. Pas quelque chose de préconçu.

     Gouri, le personnage est un poète et un écrivain public. Il met son écriture au service des autres, impliqué en tant que liquidateur : nettoyer ce qui pouvait l’être. Il a quitté le navire plus rapidement que d’autre et écrit une poésie par jour tous les jours pendant 2 ans et demi.

     Un grand livre sur le langage. La part de poésie est somptueuse dans ce livre selon Lionel Duroy.

     Toutes les semaines la grande librairie fait parler les libraires. C'est la rubrique:  "Lieu d’espoir qui s’appelle librairie" :

     Aujourd'hui il s'agit de la librairie du Mans : librairie Thuard. Partie d’une petite maison, et 25 ans après une grande de 1000 m2. La gérante du lieu nous parle de son coup de coeur : Un repas en hiver de Hubert Mingarelli : pendant la guerre, en Pologne, montrer jusqu’où l’homme peut devenir insensible lorsqu’il survit. Une journée seulement, près d’un camp d’extermination. Des allemands font une ronde pour tenter de trouver des juifs qui seraient passés entre les mailles du filet. Ils en attrapent un, mais doivent-ils vraiment l'amener dans les camps de la mort?

Jean-Claude Guillebaud : Une autre vie est possible, chez L’iconoclaste : sur sa foi dans l’avenir.

Portrait : Grand reporter au Sud ouest. En 72 il remporte le prix Albert Londres pour un reportage sur le Bengale, puis travaille pour le Monde et le Nouvel observateur. Il traite des conflits internationaux. Ce n'est que dans les années 80 qu'il écrit son premier roman. Il se plonge dans la vie des idées, dans la mutation du monde contemporain. Son livre Tyrannie du plaisir traite la morale sexuel. En 2007 dans comment je suis redevenu chrétien, Jean-CLaude Guillebaud réfléchit à la place de la croyance dans le monde moderne.

L'oeuvre : Comment garder espoir ? Avoir foi dans l’avenir ? Il évoque les autres auteurs présents, des scènes noires, des histoires terribles, mais toujours une lumière. Il a appris l’espérance des gens qui ont toutes les raisons de désespérer. En tant que reporter il est revenu d’endroits déchirés par la tuerie, mais à chaque fois, de retour à Paris il observe une chose répétitive ; la mauvaise humeur qu’il appelle le "syndrôme de Roissy". Etrange pour lui après ce qu'il a vécu.

     Lucie Aubrac, un nom qui revient : un « espoir déraisonnable ». Il est illuminé par la présence de cette femme. Leur vie était porté par une espérance tétue. L’espérance crée la colère et le courage. Quelque chose l’exaspère au plus haut point : le discours médiatico dominant. Qu'entend-il par là? Que les concitoyens entendent du matin jusqu’au soir le mot "crise". C’est un mot menteur pour lui, on n’est pas dans une crise. Si on pense qu’on y est on y est. Nous sommes dans une prodigieuse mutation. Il évoque Montaigne.

     « Un arbre qui tombe ça fait beaucoup de bruit. Une forêt qui germe, ça ne s’entend pas » Gandhi.  Chacune des mutations, des révolutions génétiques ou écologiques… chacune est porteuse de menaces et de promesses.

      « Souviens-toi du futur » : une citation qu’il a empruntée, souviens-toi que tu es en marche, que le monde de demain ne sera pas le produit de la fatalité, de la technologie, mais de nos décisions. Il faut être déterminé et décidé. Nous avons comme devoir la réparation du monde, il ne faut pas le laisser aux railleurs, aux puissants, aux plus riches. Un devoir d’espérance, qu’il reprend à l'auteur Borges. 

     Et voilà, l'émission s'achevait sur ces dernières paroles. A la semaine prochaine pour un nouveau compte-rendu.

 

Marion L.

Publié dans Autour du livre

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