La grande librairie : Compte-rendu de l'émission de jeudi 17 janvier : le théâtre
C’était la semaine du théâtre sur France télévision, d’où le thème de cette grande librairie. Toutes les conceptions du théâtre sont représentées ici. [Les interventions des auteurs sont ponctuées d'extraits des représentations théâtrales de leur oeuvre.]
Sommaire :
- Eric Emmanuel-Schmitt : Un homme trop facile. Auteur de théâtre le plus joué dans le monde, le visiteur, deuxième pièce, un dialogue entre Molière et Freud a reçu de nombreux prix. Agrégé de philosophie il imagine des pièces traversées par de grandes questions sur dieu, l’amour ou la mort. Il y a un an il achète le théâtre rive gauche, où se joue son adaptation du roman d’Anne Franck
- René De Obaldia : incarne le théâtre de l’absurde. Membre de l’académie française. Ce poète et romancier se fait connaitre avec Genousie, 1960. En 65, du vent dans les branches de Sassafras, une parodie de western. Ses pièces sont interprétées par de grands acteurs comme Jean Rochefort.
- Eve Ensler : dérision et humour dans les dialogues du vagin, pièce au succès planétaire. Pour écrire sa première pièce, cette féministe américaine a recueilli le témoignage de 200 femmes sur leur sexualité. 96 : jouée pour la première fois. Je suis une créature émotionnelle, sa dernière œuvre est née de ses rencontres avec des femmes parfois opprimées.
- Jean-Michel Ribes : dramaturge, metteur en scène… il défend les auteurs dramatiques contemporains. Vents contraires aux éditions castor astrale. Il s’arme d’humour avec la série Palace, ou la pièce brève de comptoir, mis en scène pour la première fois en 94.
- Olivier Cadiot : auteur de 8 livres qui mêlent poésie et roman. 97 : le colonel des suaves est adapté au théâtre. Il imagine le monologue d’un major d’homme. Ses livres sont souvent mis en scène au théâtre par M. Lagarde. En 2010, il est invité en tant qu’artiste associé au festival d’Avignon.
- Librairie : coupe papier : consacré au théâtre, l’une des rares librairies en France.
Le théâtre se voit et se lit. Eve Ensler est américaine mais a des pied-à-terre en France. Elle vit dans le monde entier. Leurs pièces (aux auteurs présents) sont quasiment toutes jouées dans le monde entier.
Eric Emmanuel-Schmitt : Un homme trop facile, chez Albin Michel : un millier de représentation pour ses œuvres. Quand et comment a-t-il découvert le théâtre ? A l’âge de 10 ans. Sa mère les a posés sa sœur et lui au théâtre, Jean Marais jouait Cyrano de Bergerac. Fasciné par les jambons en carton. Fasciné car on voyait qu’ils étaient en carton mais qu’ils ressemblaient au jambon. Ce qui lui a plu c’est l’artifice. Puis il a plongé dans la pièce et il a été ému par une histoire qui n’avait aucun rapport avec lui. Pour la première fois de sa vie il a versé des larmes altruistes. Première expérience d’humanisme qu’il a vécue. A partir de là, il pensait que c’était le lieu où les hommes aimaient les hommes, un lieu civique, moral, teinté d’émerveillement. Au théâtre on s’étonne de tout, de la bêtise des êtres, de leur intelligence. On y voit la vie comme elle est.
Comme elle est ou comme lui aimerait qu’elle devienne ? L’auteur raconte-il la vie telle qu’il la voit ou telle qu’il la souhaite.
Comment définirait-il son théâtre ? Un théâtre qui veut présenter les personnages, raconter une histoire, cela permet de faire une réflexion. A chaque fois une situation de crise qui lui permet d’analyser un sujet : crise de couple…
François Busnel interroge Olivier Cadiot et Jean-Michel Ribes : Jean-Michel Ribes pense qu’il ne faut pas expliquer. Destination inconnue, n’aime pas le théâtre qui donne des leçons, qui dit où on va. Il ne sait pas très bien où il va, et s’il voit le sens qui apparait il arrête d’écrire. Il adore quand les gens leur racontent une pièce qui n’est pas une des siennes.
Un homme trop facile c’est un peu ça. Il y a le personnage principal, et tous les autres qui s’intéressent au théâtre. Qu’est-ce qui lui a donné l’idée de cette histoire ? Il reprend le misanthrope, l’adapte à sa façon. Fasciné par le moment où le comédien est devant sa glace et se transforme en personnage. Il est en train d’ouvrir une partie de lui-même qui s’ouvre à l’autre. S’imagine que devant le miroir, un acteur célèbre et aimé, il se voit dans le miroir comme Alceste de Molière. Alceste sort du miroir, trouve que l’autre ne peut pas le jouer. Tout homme se pose : faut-il aimer les hommes tels qu’ils sont ou tels qu’ils devraient être. Alceste aime l’humanité si les hommes deviennent meilleurs. En face, Alex, le comédien, aime vraiment les gens tels qu’ils sont, même quand ils sont agressifs…
Règle-t-il quelques comptes ? Un moment, un fâcheux vient voir le comédien pour lui dire « vous êtes populaire », mais comme une insulte. C’est un gros mot dans la bouche de certains. On le lui a dit ? oui. Pour lui, populaire, c’est quelqu’un dont on a envie de voir la pièce, c’est quelque chose d’extraordinaire. Pour l’écrivain ridicule il s’est inspiré d’un garçon qui l’attendait à la sortie d’un théâtre avec des pièces. Oui, je veux bien les lire, mais tentez-moi. Et il s’est inspiré de ça, un personnage croit que son ignorance va modifier l’art dramatique. Quelqu’un de content de lui. Il est comme ça.
[Un extrait de la pièce] : L’Alceste de Molière parle en alexandrin.
Eric Emmanuel-Schmitt auteur grâce à René de Obaldia. Une de ses grandes inspirations. Il raconte des histoires, il y a une fantaisie, mais surtout, il y a une invention perpétuelle au niveau de la langue. Il adore.
Déjà arrivé d’écrire une pièce où d’un coup le personnage échappe totalement au contrôle de l’auteur ? C’est ce qu’il demande. Aime quand il est spectateur de ses pièces. Quand s’est arraché, ravi car on lui a dérobé les personnages qui appartiennent aux acteurs et qu’il oublie qu’il a écrit la pièce.
Jean-Michel Ribes : vents contraires : chez castor astrale : auteur, dramaturge, metteur en scène… maintenant il défend la création contemporaine. Comment est-il tombé dans le théâtre ? Dans les cours de récré. A compris que la chose contre laquelle il fallait lutter c’était la réalité. Tout ça allait vite devenir ennuyeux s’il n’y avait pas d’imagination. Après sa mère lui a aussi montré Cyrano de Bergerac. Les jambons en carton lui ont plu ? Lui plutôt s’est vite senti très mal dans le monde, très inadapté. Il se dit qu’il doit savoir quelque chose pour l’adapter et y respirer. Au début des pièces très tristes.
Quand on prend son œuvre, pas très joyeux, et puis une cassure. Qu’est-ce qui s’est produit pour passer du théâtre sérieux à celui de l’absurde ? A l’adolescence on ressent toutes les exclusions, et un moment on se dit qu’il faut essayer de transformer le malheur en bonheur. Une lutte contre les formatages, l’esprit de sérieux qui est le cholestérol de l’imaginaire.
Fin janvier, une revisite de l’une de ses pièces : théâtre sans animaux, sera jouée. C’est une pièce qui fait entrer beaucoup de gens dans les conservatoires. Il est l’auteur le plus joué dans le conservatoire d’art dramatique en auteur contemporain. Principe : attaquer le théâtre pour défendre le théâtre. A voulu célébrer le public qui s’ennuie au théâtre. Certains disent que le théâtre est un endroit où lorsque tu regardes ta montre il est 9h, et quand tu la regardes deux heures après il est 9h10.
Une bonne pièce de théâtre c’est quoi pour lui ? C’est quelque chose qui, lorsqu’une personne le voit, quand il en sort il est plus heureux que quand il est entré. Un lieu d’évasion, des endroits où l’on peut rêver, des endroits que la réalité ne nous offre pas. Il y a des planètes ailleurs. Il aime être surpris, qu’on l’emmène ailleurs, qu’on le charme. Pour cela, le théâtre de l’absurde, dans le langage et dans les mots, quelque chose dans le langage qui vous prend et qui vous emmène ailleurs. C’est ça qui l’intéresse.
Vents contraires est un livre collectif. Tous les auteurs inconnus pouvaient venir écrire. Pleins de jeunes gens, pas forcément jeunes, qui sont inconnus. A permis de découvrir des gens.
Eve Ensler : Les monologues du vagin : chez Denoël : les mots qu’on n’ose pas dire. Je suis une créature émotionnelle, presque la suite. Quelle en est l’origine ? La curiosité. Parlait avec des femmes, et commençait à parler de ménopause et donc du vagin. A demandé à une amie ce qu’elle pensait de son vagin et ça a ouvert une porte. Des idées stupéfiantes. Pas l’intention d’écrire une pièce à ce moment, et puis a parlé à une femme qui a vécu une expérience humiliante jeune et n’a plus fait l’amour après. Avait du mal à croire qu’une femme pouvait grandir sans éprouver de plaisir.
Pourquoi prendre le théâtre comme mode d’expression ? Elle écrivait des pièces depuis un certain temps. Pour elle le théâtre c’est lié à la révélation de secret, d’histoire qu’on ne raconte pas mais qui se déroulent devant les yeux. Permet aux femmes de briser un silence. L’idée de metttre des femmes en scène qui parlent de leur vagin, pensait que c’était théâtrale.
De l’humour, mais aussi de la noirceur ? Ecrit pour dénoncer quelque chose ? Non. Elle a suivi différents personnages, et a laissé les choses évoluer. Elle dénonce l’absence de communication, de dialogue autour de la sexualité. Sa pièce a été jouée en Inde. Des femmes après lui ont parlé, n’ont jamais parlé de leur vagin, ne se regardent pas, ni leur mari.
Le théâtre sert ou permet de faire bouger le monde ? Oui, tout à fait. Pour elle c’est un lieu de révolution, les idées changent. A fait un voyage extraordinaire avec cette pièce, ce qui a donné un mouvement contre la violence faite aux femmes. Le théâtre doit être vivant, parle des choses actuelles.
Jean-Michel Ribes pense que c’est plutôt un petit lieu avec des grandes idées. Certaines libertés au théâtre car pas très cher d’en faire.
Une créature émotionnelle, chez 10/18, que peut-on ajouter aux monologues du vagin ? Elle arrive de New-York où la pièce est jouée. Ce sont de jeunes femmes qui racontent leurs histoires, leurs voyages. On peut dire que ce sont des choses devant nous qui ne parlent pas. Des filles devant des problèmes. Pas de lieux pour en parler. A N-Y avec ce public varié, tous ont participé à un dialogue sur les problèmes dont on est confronté aujourd’hui. Permet d’inciter les filles ou les garçons à faire des choses dans leur communauté. Les gens ne parlent pas d’éducation sexuelle, et les pièces ont cette capacité de libérer une parole dont les gens ont peur.
Librairie : Paris, dans le VIe, le coupe papier : 60 ans, une des dernières à exister sur le spectacle vivant. Coup de cœur : Angélica Liddell avec La maison de la force, un auteur espagnol, beaucoup entendu parler il y a 2-3 ans à Avignon. Ses histoires sont une fresque. Parle de la situation des femmes autour du monde dans ce qu’il y a de plus difficile, mais aussi de plus beau. Brutalité dont vivent les femmes. Toujours dit de manière très fine. Le texte demeure toujours important au théâtre, on retrouve le plaisir de lecture d’une pièce.
René de Obaldia : théâtre complet : chez Grasset : déjà venu. Le seul auteur français traduit en papou. Et il en est fier. Il a reçu une lettre, traduit en beaucoup langue mais pas espéranto, alors c’est fait.
Comment et quand tombé dans le théâtre ? Beaucoup de confusion dans son esprit. A vu une pièce qui l’a beaucoup frappé, et se dit qu’il pouvait aussi écrire des choses. Une époque où la télé n’existait pas et les soirées leur appartenaient. Pour divertir des gens il a écrit une pièce. A écrit pour lui-même ensuite une autre pièce. A rencontré Jean Villard, lui a dit d’écrire pour le théâtre. Il retrouve la pièce et la lui fait lire. Comme ça que la carrière a commencé.
En 63 : scandale qui aurait pu mettre fin à sa carrière, un seul le défend : Marcel Aymé. Une gamine qui tenait des propos un peu leste sur la vie, sur les choses. Ne sait pas pourquoi mais les critiques ont crié au scandale, et même ont crié au détournement de mineurs.
Son théâtre, comment le définit-il ? Ses aînés sont Ionesco… trouve que la vie n’est pas absurde, sinon ce serait trop absurde. Plutôt du théâtre du mystère, avec un humour, un décalage. Une facilité pour les critiques de dire qu’il faisait de l’absurde.
Un mystère qui revient toujours : le mystère du mal, percé ? Non. Sinon ce serait présomptueux. Ce qui le préoccupe c’est le mal, la souffrance. On lui demande parfois s’il croit à un autre monde. Ce qui le tourmente c’est la notion de justice. L’homme est un animal étrange, c’est d’un côté le bourreau d’Auschwitz et de l’autre Jean-François D’assise.
Où a-t-il cherché l’humour pour explorer cette ambivalence ? Humour, pas fait exprès, c’est de sa nature. Pour lui, c’est plutôt une surabondance de gravité. S’entendre sur le mot humour, les français n’ont pas le sens de l’humour, mais de l’ironie.
Humour Obaldia ? Un humour espagnol. Ou humour métaphysique. Un humour à part, pas très français.
15 avril un hommage lui sera rendu au théâtre du rond point.
Olivier Cadiot : Un mage en été : chez POL : autobiographique ? Oui, mais personne ne le sait. Le théâtre est un lieu de l’autobiographie ? Intéressant de mythologiser sa vie sans que ça ne se voie. Le théâtre c’est représenter les choses qu’on sait déjà.
Comment venu au théâtre ? Mal commencé pour lui. Le théâtre lui a fait peur, les gens crient trop fort, quelque chose ne va pas. Toujours un peu peur. A l’impression de voir une scène de ménage à travers un trou de serrure.
Raison pour laquelle ses textes ne sont pas vraiment du théâtre ? vers 70-80, c’étaient les auteurs qui lisaient et pas les comédiens. A pensé qu’il y avait quelque chose entre l’écriture, le théâtre… S’est dit qu’il pouvait tout faire en même temps. Pour lui, il est un mauvais dramaturge, ne peut pas rêver de gens qui bougent ou de portes qui claquent. Donc fait ça en équipe. Il écrit seul et avec une équipe (metteur en scène, acteur…) ils prennent un texte pas fait pour la scène, et trouvent des subterfuges. Théâtre fait à plusieurs.
Comment nait un mage en été ? Une suite de sa grande saga. Plus facile pour un écrivain de faire des monologues, faut un livre ouvert, qui se déploie.
Qu’est-ce que la fonction du théâtre pour lui ? Une représentation. Il n’est pas certain que le théâtre soit là pour nous mettre le nez sur quelque chose sous une autre forme.
Pour Eric Emmanuel-Schmitt : rassembler. Pour Eve Ensler: nous connecter à notre cœur.
Coup de cœur de François Busnel : que la noce commence. Une autre facette du théâtre. Rend hommage à J-Bertrand Pontalis, décédé deux jours avant l’émission.
Marion L.